François Daumas (1915-1984)

« Et maintenant que des paysages nouveaux se découvrent pour nous par-delà les horizons des Cyclades, nous plongeons dans les millénaires, nous retrouvons dans la mémoire de l’humanité des souvenirs perdus depuis deux mille ans qui, nous permettant de mieux nous connaître, nous donneront peut-être la force de nous conduire mieux. »

François Daumas, postface à Roger Godel, Platon à Héliopolis d’Égypte, «Les Belles Lettres», Paris, 1956.

C’est à François Daumas, né à Castelnau-le-Lez le 3 janvier 1915, que l’Université Paul-Valéry doit de posséder aujourd’hui l’un des principaux centres universitaires français d’égyptologie.

Son père ayant été dessinateur pour l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (Ifao), François Daumas rencontra très jeune le monde des pharaons. Il aimait à rappeler ces premiers contacts égyptiens : les aquarelles de son père – mort au front en 1914 et qu’il ne connut donc pas – qui ornaient les murs de son enfance, une visite inoubliable des collections du musée du Louvre avec Madame Gaston Maspero, puis ses premiers exercices d’égyptien hiéroglyphique corrigés, par correspondance, par le maître Gustave Lefebvre, qui l’incita à passer l’agrégation des lettres, obtenue en 1938.

Son parcours fut brillant : il suivit à Paris l’enseignement d’égyptologues tels que Gustave Lefebvre, Pierre Lacau, Michel Malinine, mais aussi de spécialistes des langues chamito-sémitiques comme Edouard Dhorme (hébreu), René Labat (assyro-babylonien), Régis Blachère (arabe) et André Basset (berbère). Durant ses études, il se lia d’amitié avec son condisciple Antoine Guillaumont (1915-2000), futur professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « Christianisme et gnoses dans l’Orient préislamique ». Plus tard, en 1964-1965, François Daumas mènera des fouilles en Égypte en compagnie de cet éminent spécialiste de la langue et de la pensée coptes.

Après quelques années passées comme professeur de lettres au lycée de Tournon (Ardèche), en 1942, et au lycée de Montpellier, de 1942 à 1944, Daumas obtient une bourse de la recherche scientifique de 1944 à 1946 puis devient « pensionnaire » de l’Ifao de 1946 à 1950. Après un passage au Cnrs comme attaché de recherche, de 1950 à 1954, il est nommé chargé d’enseignement à la Faculté des lettres de Lyon en 1954, où il reste jusqu’en 1959 après avoir été promu maître de conférences puis professeur. Sa thèse d’État, soutenue en 1958, est consacrée aux « mammisis » des temples égyptiens, ces édifices réservés aux célébrations des mystères de la naissance divine. Directeur de l’Ifao de 1959 à 1969, il occupe ensuite la toute nouvelle chaire d’égyptologie de Montpellier, fondée pour l’accueillir, à quelques centaines de mètres de son village languedocien natal. Après quinze années à l’Université Paul-Valéry, où il développe l’enseignement et la recherche en égyptologie, François Daumas décède le 16 octobre 1984, à Castelnau-le-Lez.

Membre de la Société d’archéologie et d’histoire de Montpellier et de son Académie des sciences et des lettres, correspondant de l’Institut de France, pour ne citer que ces quelques distinctions, François Daumas dispensait aussi son savoir et sa passion lors de conférences captivantes. Le grand public peut encore aujourd’hui aborder l’Égypte ancienne grâce à sa célèbre Civilisation de l’Égypte pharaonique ou à ses Dieux de l’Égypte, ouvrages souvent réédités.
Son mémoire de recherche à l’École pratique des hautes études, Les Moyens d’expression du grec et de l’égyptien comparés dans les décrets de Canope et de Memphis (1952), est très révélateur de sa double approche – et de sa double compétence –, classique et orientaliste, et de son souci constant d’envisager la culture pharaonique dans son contexte méditerranéen pour mettre en lumière ce qu’elle légua à l’Occident au travers des mondes biblique, grec et romain. Mais l’une de ses principales œuvres scientifiques, parmi les quelque deux cents ouvrages et articles parus, est assurément la publication de l’immense temple de Dendara, initiée par Émile Chassinat, et que Sylvie Cauville est en passe d’achever. Cette entreprise d’épigraphie monumentale et de philologie orienta dès ses débuts les recherches de l’équipe montpelliéraine, dont les premiers membres furent Marguerite Morfin et Bernard Morardet, vers l’étude de la religion égyptienne à l’époque tardive et des textes des temples gréco-romains.

Tous ceux qui ont eu la chance de fréquenter François Daumas ont beaucoup appris à son contact. Dans le domaine de l’égyptologie, bien sûr, dont il maîtrisait les multiples aspects, sachant toujours mêler rigueur et élégance, érudition et humour. Mais aussi pour une conduite de vie où l’exigence de la recherche et la droiture morale s’intégraient dans une vision humaniste du monde, fondamentalement généreuse, plus nécessaire en ce siècle que jamais. Les deux volumes d’Hommages qui lui ont été dédiés à titre posthume, en 1986, publiés dans la collection Orientalia Monspeliensia, rassemblent plus de soixante contributions de ses collègues et élèves, français et étrangers, qui ont tenu à manifester ainsi leur affection, leur admiration, leur reconnaissance. Ces Hommages contiennent également la retranscription d’un entretien qu’il avait accordé, quelques mois avant sa mort, à notre collègue Henri Boyer : l’égyptologue y explique, par-delà les difficultés rencontrées, l’enrichissement qu’apporte l’apprentissage des langues anciennes.

Aujourd’hui, des générations de jeunes égyptologues progressent dans le déchiffrement des textes ptolémaïques grâce aux Valeurs phonétiques des signes hiéroglyphiques d’époque gréco-romaine, un outil de travail précieux dont François Daumas avait suscité la réalisation, et qui constitue quatre volumes desOrientalia Monspeliensia (1988-1995). Plusieurs sont devenus des professionnels et participent au rayonnement de l’égyptologie française grâce au centre de recherche qu’il a fondé et qui porte désormais son nom. Cette structure est à présent un lieu d’enseignement solidement encadré, avec une chaire (ont succédé à François Daumas : Gérard Godron, Jean-Claude Grenier puis Frédéric Servajean) et trois maîtres de conférences (actuellement Marc Gabolde, Bernard Mathieu et Stéphane Pasquali), ainsi qu’un centre de documentation et de recherche performant, doté de la première bibliothèque universitaire spécialisée de France, constituée notamment des fonds Raymond Weill, Alexandre Piankoff et Émile Chassinat, et du fonds François Daumas légué en 1998 à l’Université Paul-Valéry, et alimentée par des crédits réguliers du Cnrs et du ministère de l’Éducation nationale.

Beaucoup, enfin, perçoivent, dans le souvenir de ses paroles et la lecture de ses écrits toujours méticuleusement rédigés, les spécificités et la profondeur d’une pensée égyptienne qui s’interrogeait, comme nous, sur l’être humain (1) et savait exprimer, à sa manière, « amour de la vie et sens du divin » (2).

Bernard Mathieu

 

1. «La naissance de l’humanisme dans la littérature de l’Égypte ancienne», Oriens Antiquus I, Rome, 1962, p. 155-184.
2. «Amour de la vie et sens du divin dans l’Égypte ancienne», Études carmélitaines, Paris, 1952, p. 93-141. Article réédité sous forme d’opuscule aux éditions Fata Morgana en 1998.

Bibliographie :

– Le Temple de Dendara (en collaboration avec Émile Chassinat), Ifao, Le Caire, 9 tomes parus, 1934-1987.
– Les Moyens d’expression du grec et de l’égyptien comparés dans les décrets de Canope et de Memphis, Ifao, Le Caire, 1952.
– Les Mammisis des temples égyptiens, « Les Belles Lettres », Paris, 1958.
– La Civilisation de l’Égypte pharaonique, Arthaud, Paris, 1965 (dernières rééd. 1982, 1995).
– Les Dieux de l’Égypte, « Que sais-je ? » n° 1194, PUF, Paris, 1965 (dernière rééd. 1982).
– La Vie dans l’Égypte ancienne, « Que sais-je ? » n° 1302, PUF, Paris, 1968 (dernière rééd. 1980).
– Hymnes et prières de l’Égypte ancienne, présentés, traduits et choisis par André Barucq et François Daumas, Éditions du Cerf, Paris, 1980.
– Amour de la vie et sens du divin dans l’Égypte ancienne, Fata Morgana, Saint-Clément-de-Rivière (Hérault), 1998.